
Serge
TILLY
Je
dédie ce travail :
- à ma
mère et à mon père,
- à mes enfants Rozanne, Olivier et Coraline pour qu'ils sachent,
-
au camarade de combat de mon père, Roger MADIGOU,
torturé
à Plouaret et fusillé le 6 mai 1944 à Ploufragan,
- à tous les résistants, déportés et civils massacrés
par les nazis,
- à leurs familles
qui verront leurs vies brisées. |
Dans mon enfance, je fus "imprégné"
de l'esprit de la Résistance. En effet mon père Armand fut un des
fondateurs et des animateurs, avec Louis LALES et Roger MADIGOU du premier groupe
anti-nazi à Louargat, sa commune d'origine. Il perdit de nombreux camarades
qui furent, presque tous, soumis aux tortures les plus ignobles commises
par une bande de tueurs au service de l'idéologie hitlérienne et
dont les crimes restèrent impunis. Ces crimes ne furent pas uniquement
commis par les SS mais aussi par les militaires de l'armée allemande : la Wehrmacht. Je frémis d'horreur à
la pensée que certains d'entre eux furent incorporés ensuite dans
l'armée française pour être utilisés dans les guerres
coloniales que mena notre pays en Indochine et en Algérie.
LES
LIEUX DE MEMOIRE DANS LES COTES-DU-NORD :
C'EST
L'HISTOIRE DE LA RESISTANCE DANS SA DIVERSITE
Il
m'a semblé indispensable de rassembler dans un même ouvrage la documentation
la plus complète possible sur les Lieux de Mémoire édifiés
à la suite de l'occupation allemande, de rappeler les noms des résistants
(Résistance Intérieure, Résistance Extérieure et Déportés)
ayant sacrifié leur vie pour notre Liberté afin qu'ils ne tombent
pas dans l'oubli.
Il m'a semblé important
aussi de souligner les souffrances endurées par des civils assassinés
bien souvent sans autre raison que celle de terroriser la population et ceci souvent
avec l'aide de Français s'étant mis au service de l'ennemi, cette
collaboration fut décisive dans la traque des résistants. Il en
fut ainsi des miliciens du régime de Vichy, de certains gendarmes, de certains
policiers, des miliciens autonomistes bretons, des membres de partis fascistes,
d'indicateurs et traîtres de toutes sortes bien souvent prêts à
vendre père et mère pour de l'argent.
Il
est nécessaire de faire prendre conscience aux jeunes de l'atrocité
des guerres et de la monstruosité de l'idéologie
nazie. La mobilisation des Français lors des élections présidentielles
de mai 2002 pour faire barrage à l'extrême droite fut somme toute
rassurante.
DES RECHERCHES PASSIONNANTES
J'ai donc visité tous les sites qui
me furent signalés, les photographiant, à l'aide d'un appareil photo
numérique permettant leur traitement
sur ordinateur, dans tous les cas de près afin que soient bien distingués
les textes y figurant et à distance
de façon à pouvoir repérer le site par rapport à un
édifice quand cela a été possible. J'ai été
amené à me rendre dans la quasi totalité des communes du
département, parcourant ainsi 12 000 kilomètres en voiture
et environ 4 000 kilomètres dans l'ouest des Côtes-d'Armor à
bicyclette. J'ai dû retourner à plusieurs reprises
sur certains sites, les conditions de prises de vues n'étant pas toujours
réunies. Le travail réalisé s'est étalé sur
trois années.
L'inventaire des sites
n'a été possible que grâce au travail ébauché
à la fin des années soixante par Corentin ANDRE, plus connu sous
le nom de capitaine MAURICE, qui fut président départemental et
membre du bureau national de l'ANACR L'aide d'anciens résistants, véritables
points d'appui dans différents secteurs du département
a été précieuse tout comme l'aide apportée par l'Office
National des Anciens Combattants de Saint-Brieuc
sous la direction de Madame LOPEZ secondée par Mademoiselle LLOZA qui m'a
communiqué une liste de sites recueillis auprès de toutes les communes
du département en réponse à un questionnaire élaboré
par mes soins. Il m'est apparu indispensable de mettre un visage devant un nom
: c'est une façon de faire vivre à nouveau
toutes ces femmes et tous ces hommes, la plupart en pleine jeunesse. La documentation
photographique qui fait la richesse de cet ouvrage provient d'archives privées,
notamment de celles d'anciens résistants et de leurs familles, comme celle
de la collection de Corentin ANDRE, cédées par son fils, Maurice.
Je me suis efforcé de faire figurer
dans cet inventaire tous les sites connus édifiés à la suite
d'évènements liés à la période de l'occupation
allemande, soit la période allant du 20 juin 1940, date de l'arrivée
de l'armée allemande dans le département, au 15 août 1944,
date de la libération totale des Côtes-du-Nord. Ma crainte est d'avoir
oublié par méconnaissance un ou plusieurs sites.
La
documentation concernant chaque site provient pour l'essentiel d'un long et systématique
dépouillement des fonds conservés aux Archives départementales
des Côtes-d'Armor pour lesquels je dispose d'une dérogation accordée
par le directeur des Archives de France. Certaines informations proviennent de
différents ouvrages dont j'ai noté les références
dans la bibliographie en annexe.
QU'EST-CE
QU'UN LIEU DE MEMOIRE ?
Un Lieu de
Mémoire comprend un ouvrage / un édifice / un objet mis en place
afin de perpétuer le souvenir d'un événement / d'une personne
/ d'un groupe de personnes lié(e)(s) à la période de l'occupation
allemande entre 1940 et 1944. J'ai utilisé ici la classification proposée
par Luc CAPDEVILLA dans sa thèse soutenue en 1997 et publiée aux
Presses universitaires de Rennes :
Les
stèles et monuments commémorant les martyrs et les morts de la Résistance
locaux.
Les sépultures dans les
cimetières des martyrs et des combattants.
Les
dénominations du patrimoine urbain : plaques, bâtiments dédiés
aux martyrs et aux combattants
TYPOLOGIE
DES LIEUX DE MÉMOIRE
UNE
MEMOIRE ECLATEE GEOGRAPHIQUEMENT
La
mise en place des sites ne répond sur le plan départemental à
aucune logique : "c'est une mémoire éclatée". Certains
ont été érigés au niveau cantonal comme à Belle-Isle-en-Terre,
Dinan et Loudéac, d'autres au plan communal
comme à Trébeurden, Saint-Quay-Portrieux, Plounévez-Moëdec,
Landébaëron, Saint-Nicolas-du-Pélem. Dans deux cas, les sites
représentent des secteurs géographiques larges comme le monument
de La Pie en Paule et le monument du secteur Nord II de Squiffiec. Parfois les
noms sont listés sans ordre particulier : déportés,
résistants, civils et militaires morts sur les différents fronts.
Par contre sur certains sites, une distinction est faite entre les déportés,
les résistants intérieurs, les résistants extérieurs,
les fusillés et les civils. Dans plusieurs cas, l'orthographe des noms
est inexacte. Cette construction de la mémoire de la seconde guerre mondiale diffère assez nettement de l'effort
mnémonique de la guerre 1914-1918. Il n'était pas question pour
nous, bien entendu, d'établir, à l'instar de l'étude magistrale
d'Antoine PROST sur les monuments aux morts de la Grande Guerre, une typologie
et une sémiologie des Lieux de Mémoire dans notre département.
PLUSIEURS CENTAINES DE SITES
En
premier lieu, ce qui frappe lorsque l'on visite les Lieux de Mémoire dans
notre département, c'est le nombre important de sites (446). Les anciens
résistants, les amis et leurs familles se sont efforcés de perpétuer
le souvenir de leurs camarades, de leurs amis,
de leurs voisins, combattants ou simples civils morts pour la France. Un nombre
impressionnant de sites - plus de 170 Lieux de Mémoire répartis
sur près de 80 communes - sont dédiés en partie ou en totalité
aux FTPF, ce qui n'est pas surprenant compte tenu de l'entrée précoce
de cette organisation dans l'action contre l'occupant et son influence : selon
Christian BOUGEARD, professeur à l'UBO (Université de Bretagne occidentale
à Brest) 75 à 80 % des FFI à la Libération étaient
issus des FTPF.
UNE DOUBLE FONCTION
PATRIOTIQUE ET FUNERAIRE
Sur presque
tous les sites il est mentionné : "Tué" ou "Fusillé"
par les Allemands, bien que le terme "Fusillé" ne soit pas à
mon avis très approprié, car dans la plupart des cas ce furent des
assassinats et des massacres de résistants et de civils exécutés
sans jugement. Ils furent achevés sur le lieu du supplice après
avoir été dans la plupart des cas sauvagement torturés et
martyrisés, voir mutilés.
En
majorité ces Lieux de Mémoire sont parfaitement entretenus, cependant
quelques-uns sont délaissés voire abandonnés à la
nature. Certains ont disparu à la suite de travaux, d'autres, une poignée,
ont été volontairement enlevés par des propriétaires
indélicats des lieux d'implantation. Dans quelques cas, le manque d'entretien
et le mauvais choix de la couleur des gravures rendent les inscriptions difficilement
lisibles. Il semble que le noir et le bleu foncé seraient des couleurs
plus appropriées. L'entretien et la rénovation des sites est souvent
assuré par les anciens résistants. Parfois c'est la famille, les
amis, les voisins qui les maintiennent en état. Dans tous les cas les
communes font de gros efforts pour entretenir les Lieux. Les résistants
qui ont perdu leur vie pour se débarrasser
du nazisme et les civils, morts innocents, méritent cette attention et
ce respect.
LES CEREMONIES PATRIOTIQUES
Tous les ans, du mois de mai au mois d'août
se déroulent à travers le département les cérémonies
patriotiques annuelles, organisées par les associations d'anciens résistants
et/ou par les municipalités. Elles sont particuliè-rement émouvantes,
comme par exemple à Garzonval en Plougonver, où les participants
chantent "Le Chant des Partisans". La cérémonie qui attire le plus
de monde est sans conteste celle de La Pie en Paule, en effet ce sont plusieurs
centaines de personnes qui se rassemblent pour commémorer les combats du
28 juillet 1944.
QUELQUES OUBLIS DE
L'HISTOIRE
Pour plusieurs faits ou
exécutions aucun Lieu de Mémoire n'a été mis en place.
On peut citer en particulier:
. Marcel BREGEON
assassiné le 15 avril 1943 au 74 boulevard Charner à Saint-Brieuc.
On s'explique assez mal que la mémoire du responsable du PCF clandestin
abattu par la police française ait été "oubliée"
par un parti qui, au lendemain de la guerre, a construit son histoire sur ses
martyrs : "le parti des fusillés". La mémoire de Marcel
BREGEON, métallo nantais, est célébrée à Rezé.
.
Les victimes de l'opération de police du mois d'août 1943 (plus de
quarante arrestations par la police française, appartenant toutes au parti
communiste clandestin) : trois fusillés et neuf morts en déportation.
.
Les cinq FTPF du groupe CADRAS de Plouagat - Châtelaudren, arrêtés
au mois de novembre 1943, puis fusillés le 15 juin 1944 place Balard à
Paris.
. Les sept FTPF du maquis de Goas-Hamon
en Senven-Léhart assassinés le 12 juin 1944.
.
La lande de Maël-Pestivien dans laquelle furent parachutées le 3 mars
1944 les premières armes destinées aux FTPF de l'ouest du département.
.
Le PC des FFI, des FTP, du PCF.
. Les victimes
des rafles de Saint-Servais et Maël-Pestivien les 16 et 17 mai 1944.
.
La maison de la Pépinière à Plouaret où des dizaines
de résistants furent torturés à mort pour certains.
... la liste pourrait s'allonger encore.
|
Serge
TILLY
membre du Comité
pour
l'Etude de Résistance Populaire
dans les Côtes-du-Nord
|
|
|